Publié le 13 mars 2017 par Pascal Caglar
Hommage et désacralisation, telles sont les deux racines du spectacle de Serge Bourhis : Racine par la racine. Le défi relevé avec succès, consiste en effet à revisiter les morceaux d’anthologie du tragédien en leur apportant une petite pointe de pédagogie, une once d’anachronisme et une bonne dose de dérision.
Le spectacle se propose de rappeler en autant de tableaux les onze tragédies de Racine, en entrant dans chacune d’elle par un biais à la fois sérieux et comique : la scène d’exposition, le fait divers tragique, le sujet fait de rien, le monologue sans fin, les mots tragiques : de quoi régaler le professeur de lettres comme le simple amateur de divertissement.
Des transitions travaillées autant que les tableaux
Non seulement les extraits – et les plus beaux, les plus célèbres comme la douleur d’Andromaque, la séparation de Titus et Bérénice, le songe d’Athalie, ou l’aveu de Phèdre – sont donnés à (ré)entendre, joués avec émotion et conviction, mais les transitions, les liaisons entre tableaux, sont travaillés comme autant de sketchs d’un humour irrésistible.
La Racine Académy est un commando paramilitaire où l’on s’entraîne dur pour jouer le théâtre du Maitre, les Alexandrins Anonymes se retrouvent pour se désintoxiquer de Racine, l’appel téléphonique d’un Dieu anglophone inspire deux pièces chrétiennes au grand homme, une journaliste bien seule interviewe Jean Racine lui-même, invité hautain et peu bavard, et ainsi de suite : pas une pièce sans un prélude comique.
Mais, au-delà de ces jeux burlesques, l’amateur de théâtre classique sourira de ces clins d’œil à l’enseignement scolaire : une actrice surgit au milieu d’une scène : qui est-elle ? « Je suis Didascalie », s’exclame-t-elle en égrenant quelques indications. Un garde reste planté avec sa hallebarde sans rien dire : qu’est-ce encore ? Le monologue du hallebardier ! Une scène d’Histoire sans paroles (et sa fameuse musique) se joue en pantomime : c’est bien sûr Iphigénie et sa succession de retournements. Un metteur en scène racinien commente l’ouverture d’Andromaque : « Oui, puisque je retrouve un ami » : ce « oui » injouable devient la métaphore de l’allégeance de Racine au théâtre.
Une pièce qui rapproche le monde du spectacle du monde de l’éducation
Les quatre acteurs changent sans cesse de rôles et de costumes, d’époques et de langage. Mais une constante demeure : la parole en alexandrins. Qu’il s’agisse des vers lyriques ou dramatiques de Racine ou des vers bouffons ou parodiques des personnages de la pièce, tout est plaisir des mots, du texte et de la poésie.
« Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire. » Tel est ce vers de Phèdre qui tourne en boucle comme l’obsession d’une beauté ensorcelante.Une des marques les plus inattendues du spectacle est de nous quitter en nous laissant l’envie de relire ce théâtre de Racine, d’en oublier l’âge et la distance pour le retrouver comme un ami oublié.
Le spectacle est déjà ancien : Serge Bourhis et sa troupe, la Compagnie Alcandre, l’ont déjà représenté en province et auprès des publics scolaires avant même son grand triomphe à Avignon en 2013. Le succès est mérité et réconfortant : il prouve que l’on peut encore attirer avec des auteurs classiques : ce n’est ni de la vulgarisation pédagogique, ni de la parodie facile et inculte, c’est une manière d’accommoder à l’air du temps un parfum qu’on croirait défraichi.
Ce Racine par la racine vaut bien sa longévité étonnante, et peut à bon droit passer pour un exemple réussi des difficiles rapprochements entre monde du spectacle et monde de l’éducation, entre culture vivante et culture scolaire.
Pascal Caglar